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La peur de la réussite en escalade : dépasser les vertiges du succès



Peut-on vraiment craindre la réussite ?


En escalade, traditionnellement, on entend plutôt parler de la peur de la chute. Mais celle-ci peut faire référence au sens que porte cette chute : « si je tombe, j’échoue, si je sors la voie, c’est un succès ». Deux faces d’une même pièce, celle de l’enchaînement de voies ou de blocs. Ainsi, ces deux aspects de la performance : la réussite ou l’échec, vont parfois faire émerger d’autres types de peur que la traditionnelle peur de la chute : la peur de l’échec et la peur de réussir.


C’est à cette dernière que nous allons nous intéresser ici. Car bien que moins connue et moins investie dans l’enseignement de l’escalade, on peut facilement se souvenir de situations en falaise, en bloc, à la salle ou en compétition où cette fameuse peur de la réussite est apparue comme la cause évidente d’un échec. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, comprendre et travailler sur cet aspect dès les débuts de l’apprentissage de la grimpe ainsi qu’en préparation mentale constitue un facteur clé de notre performance et de sa compréhension.


La peur est une émotion désagréable (bien qu’on puisse en tirer des effets grisants), relativement courte, qui apparait lorsque l’on perçoit un danger ou une menace imminente. Dans le cas de la peur de réussir, elle se confond avec l’émotion d’anxiété, qui elle aussi est désagréable, mais qui apparaît plutôt lorsque l’on doute de nos capacités à faire face à une situation donnée, et qu’on en redoute les conséquences. C’est pourquoi on parle aussi de pression au succès. Ainsi, ce concept de peur de la réussite a commencé à être défini dans les années 1970 par Martina Horner qui la décrivait comme une disposition à éprouver de la peur vis-à-vis des conséquences négatives de la réussite. Son travail mettait en avant l’expression courante de cette émotion chez les femmes de son époque, évoluant professionnellement dans des milieux traditionnellement masculins, notamment la médecine, et en présence de stéréotypes de genres importants. Si ses successeurs ont montré que cette peur de réussir existait également chez les hommes (comme Jo-Hanna Ivers en 2008), on comprend tout de même que l’origine de cette peur est liée à l’interprétation des différents coûts de la réussite. Une fois de plus cela peut sembler paradoxal, mais prend finalement tout son sens.


Quelles sont les causes à l’origine de cette peur ?


Le succès, ou la réussite est un concept construit socialement, qui correspondra généralement aux attentes de classes : par exemple, selon son milieu, réussir sa vie n’a pas le même sens ; de même, réussir dans sa pratique sportive, donc en escalade n’a pas les mêmes implications selon les personnes et leur milieu. Une fois ce point rappelé, on peut identifier plusieurs pistes quant aux origines de cette peur de réussir :


- La perception personnelle de la réussite :


De manière très individuelle, chacun.e de nous se positionne différemment par rapport à la réussite. Par exemple, certain.es vont par « essence » vouloir grimper plus hauts que leurs partenaires en falaises, comme ils seront certainement boostés par le contexte compétitif, ou une occasion de se dépasser et d’exprimer leur meilleur niveau face à la concurrence. D’autres au contraire, ne sont pas à l’aise avec cette idée et préfèreront laisser gagner leurs adversaires lors d’un jeu de carte à la falaise, ou bien s’attacheront à ne pas enchaîner trop vite les projets qu’ils partagent avec des ami.es (pas nécessairement consciemment) … Cet aspect là va prendre son origine dans l’éducation, les stéréotypes liés au genre, la culture de son milieu vis-à-vis de la réussite, ect…


- Un déséquilibre entre les bénéfices et les coûts de la réussite


Cette vision coût/bénéfices va se décliner en 4 grands aspects qui contribuent à la manière dont vous vous positionnez vis-à-vis de la réussite, dans une situation donnée.


→ L’isolement social que votre réussite peut engendrer : devenir la personne à qui les autres veulent mettre des buts à la salle de bloc, la personne à abattre en compétition, ne vivre, à cause de son niveau, que des relations par intérêt ou plus simplement, ne plus trouver personne pour nous accompagner dans nos projets.


→ Le fait de devoir assumer une position de leader et son niveau par rapport aux autres


→ Le fait de ressentir une pression à reproduire ou dépasser ses performances passées à chaque échéance


→ Egaler ou devenir plus fort.e que certain.es mentor.es , que ce soit des coachs, des parents, des ami.es ou des idoles de nos débuts


- Le perfectionnisme a également un lien négatif avec l’expression de la peur de réussir, tout comme une faible estime de soi. Cependant, ces aspects étant très stables dans le temps, à tel points qu’ils sont proches de constituer notre personnalité, qu’il n’est pas vraiment possible d’agir dessus, si ce n’est en prenant conscience de ces aspects de notre fonctionnement et en mettant en place des méthodes pour nous adapter au mieux aux exigences de l’escalade.


À titre d’exemple, même si son niveau en compétition ne semble pas trop en pâtir, du moins par rapport à celui des autres, Janja Gambret se confie dans une entrevue destinée à la communication du CIO, quant à la « pression qu’elle ressent du monde de l’escalade, des médias, et de tous ceux qui l’entourent ».





Peur de réussir, quelles conséquences sur votre mental ?


À présent, voyons ce qu’elle peut engendrer en escalade, et donc pourquoi il est intéressant de travailler dessus, à la fois sur ses causes et sur ses manifestations.


- Diminution du bien être global

- Altération des relations sociales

- Diminution de la confiance, des concepts et de l’estime de soi


L’estime de soi, les concepts de soi et la confiance en soi sont liés, le premier peut être résumé à la valeur que l’on se donne en tant que personne, les seconds à la valeur que l’on s’attribue dans certains domaines, et la dernière aux chances que l’on estime avoir de surmonter une tâche précise. Il est donc possible d’influencer notre confiance en nous, mais très délicat d’intervenir sur l’estime que l’on se porte. La peur de réussir va donc dans un premier temps impacter la confiance en soi négativement, et si les situations où on y est confronté se répètent, alors, petit à petit remonteront et impacteront la valeur que l’on se donne dans des domaines précis, comme le bloc, la salle, la falaise, ou bien à plus long terme l’escalade. À terme, c’est l’estime de soi qui peut être touchée si les domaines dans lesquels on éprouve cette peur sont multiples.


- Augmentation de l’anxiété globale et de l’anxiété en contexte de performance


L’anxiété, qu’elle se ressente au niveau cognitif (les pensées négatifs et les doutes quant à l’issue d’une situation et aux potentielles conséquences de cette issue) ou somatique (l’ensemble des sensations physiques désagréables que l’on ressent lorsque l’on est anxieux, comme la boule au ventre, les mains moites, les tremblements…) est une répercussion directe de la peur de réussir. Ainsi, la performance peut se voire altérée, et la pratique moins agréable.


- Augmentation de l’emploi de stratégies d’auto-handicape


Les stratégies d’auto handicape se sont les processus que l’on met en place, en amont d’une situation, souvent perçue comme importante, afin de préparer un échec potentiel. On distingue deux types de stratégies d’auto-handicape : les « proclamées », et les comportementales. Les proclamés (tout ce que l’on va annoncer, publiquement ou non, avant une échéance, anticipant des difficultés : par exemple une mauvaise nuit, une petite forme, de la fatigue, un style inadéquat…) mettent temporairement de côté l’anxiété, puisqu’elles nous fournissent des excuses, mais ne sont pas adaptées à long terme, puisqu’elles conduisent à l’utilisation des stratégies comportementales. C’est-à-dire l’adoption de comportements qui ont un impact négatif sur notre performance (sortir et faire la fête avant une journée de concrétisation en falaise, négliger son échauffement, changer de projet alors que l’on est proche de l’enchaîner, mettre des essais à répétition sans gérer ses repos…). Ainsi ces stratégies d’auto-handicape ont un effet négatif direct sur notre performance ; mais notre égo est préservé : « si j’échoue c’est normal, si je réussis c’est un exploit ».


- Augmentation de l’emploi de stratégies d’évitement


À plus long terme, la peur de la réussite et l’emploi de stratégies d’auto-handicape favoriseront l’apparition de stratégies d’évitement. Au niveau cognitif d’abord, c’est-à-dire que les pensées et les efforts sont concentrés sur le fait de chasser des émotions désagréables ou des pensées gênantes au lieu de les accepter et de focaliser volontairement son attention vers des points pertinents pour obtenir une escalade juste. Puis, à plus long terme au niveau comportemental, en évitant les situations qui provoquent la peur de réussir. Selon les personnes et les problématiques, on pourra en observer beaucoup : ne plus travailler de voies au-delà d’une seule séance, ne plus grimper dans son anti style, arrêter de participer à des compétitions, ne plus grimper avec des personnes plus fortes, ne plus accompagner des grimpeur.euses moins fort.es… Evidemment, les stratégies d’évitement ne sont ni propices à la progression, ni à la performance.


- Augmentation de la perméabilité aux distractions (A. Moran, 2008)


L’ensemble des conséquences ci-dessus augmentent donc la perméabilité aux distractions, notamment internes (pensées, émotions, sensations physiques dans la grimpe, erreur gestuelle, erreur de méthodes…) et altèreront les capacités à les gérer efficacement. Ainsi, toutes ces conséquences sont en lien négatif direct avec la performance. Il est donc primordial d’intervenir à la fois au niveau des plus pesantes sur votre capacité à enchaîner vos projets, ainsi que de prévenir en amont l’apparition et la répétition de cette peur de la réussite. L’expérience et la répétition de ces manifestations possibles de la peur de réussir vous aidera dans la détection de celle-ci et vous donnera directement des axes de progression pour limiter son apparition et progresser sur sa gestion lorsqu’elle survient.




Et en pratique alors ?


Maintenant que nous avons défini la peur de la réussite, ses causes et ses conséquences potentielles sur votre grimpe, nous allons voir comment il est possible de travailler pour diminuer la fréquence de ses apparitions, et comment mieux gérer ses effets. En plus du travail spécifique sur l’ensemble les effets de cette peur (comme mentionné précédemment), plusieurs étapes et outils vont être décisifs dans votre progression.


- Le diagnostique


Prendre conscience et comprendre votre peur de réussir est un point clé. Sans cette étape, impossible de formaliser ni ce qui se passe, ni ce que vous éprouvez, ni comment est ce que vous réagissez face à cette peur. Donc impossible d’y répondre par l’emploi de méthodes et d’outils adaptés. Pour vous aider, vous pouvez tenter de réfléchir à votre positionnement vis-à-vis de ces affirmations inspirées du questionnaire Fear Of Success Scale (FOSS) mis au point par Zuckerman et Allison en 1976.





Il n’y a évidemment pas de bonnes ou de mauvaises réponses, mais se questionner par rapport à ces points aide à comprendre notre positionnement par rapport à la réussite, et donc à nos dispositions à éprouver la peur qui peut y être associée.


Ensuite, en pensant à votre pratique et vos objectifs actuels, vous pouvez tenter de répondre à ces différentes questions. Elles vous permettront de prendre conscience de vos pensées, émotions, attentes et comportements par rapport à l’atteinte de ces objectifs, et vous aideront à vous projeter dans des comportements adaptatifs et à adopter des stratégies efficaces pour progresser et vous rapprocher de l’atteinte de vos buts.




En fonction de votre expérience, de vos réponses à ces questions et des situations, contextes et des conséquences que vous vivez de la peur de réussir ou de la pression au succès, alors vous pourrez également travailler avec certaines des méthodes ci-dessous.


- Un travail au quotidien pour progresser


→ Pratique de la pleine conscience

→ Pratique d’exercices de contrôle de l’attention

→ Travail autour de la confiance en soi et de la motivation

→ Travail autour de la gestion de l’activation

→ Travail de visualisation Voici un exemple d’exercice de visualisation, portant sur l’augmentation de la confiance en soi et sur l’orientation des pensées vers les bénéfices de l’atteinte d’un objectif.







- Différents axes pour limiter les effets de la peur de réussir


→ Fixation d’objectifs à très court terme

→ Choix de points d’attention pertinents et d’un discours interne adapté

→ Mise en place d’une routine pré-performance individualisée


- Un travail à plusieurs


→ Optimisation de la communication dans le groupe, de la relation entraîneur-entraîné, parentathlète…

→ Fixation d’objectifs collectifs entre les membres d’un groupe

→ Orientation du climat motivationnel vers la maîtrise et les progrès individuels plutôt que vers l’ego et la comparaison interpersonnelle.


La pratique régulière et organisée d'exercices de préparation mentale est fondamentale pour des gains significatifs en escalade. Si la pratique autonome de ces exercices suscite chez vous le désir d'approfondir ces compétences, je vous invite à me contacter pour envisager un suivi personnalisé. Ensemble, nous pourrons élaborer une intervention adaptée à vos besoins spécifiques.



💬 : Léo Dechamboux

🗞 : GrimpActu.

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