Laura Pineau, la grimpeuse que l’on commence à peine à découvrir mais qui s'impose déjà comme une référence incontournable dans l’univers de l’escalade en fissure, continue de repousser les limites. Après avoir marqué les esprits avec des ascensions exceptionnelles en deep-water solo à Toulon et des premières réalisations en trad dans des voies mythiques comme "Greenspit" en Italie, elle vient de réaliser une performance qui va définitivement entrer dans l’histoire de l’escalade : la première ascension féminine du Toit du Baou, un des plus beaux cracks de Toulon, et une voie de légende ouverte en 1981 par Patrick Edlinger. Ce toit, classé parmi les premières voies 7c+ du monde, n’avait été grimpé par que quelques rares hommes depuis. Ce nouvel exploit confirme que Laura est bel et bien une grimpeuse hors-norme, capable de combiner technique, engagement et endurance dans des styles aussi variés que la fissure, le big wall ou encore le deep-water solo. Nous avons eu l’opportunité de la rencontrer pour une interview exclusive dans laquelle elle revient sur cette ascension mythique, ses projets à venir et sa vision de l’escalade, qui la place à la croisée des chemins entre performance et exploration.

Laura, félicitations pour ta première ascension féminine du Toit ! Pour commencer, peux-tu te présenter brièvement pour nos lecteurs et nous parler de ton parcours en escalade ?
Je m’appelle Laura Pineau, j’ai 24 ans et j’ai grandi à Toulon dans le Sud de la France. Je découvre l’escalade à 17 ans à San Peyre où se trouve la grotte que l’on voit au début du film « La Vie Au Bout Des Doigts » de Patrick Edlinger. Après cet été à San Peyre et cette première expérience en deep water solo, je me suis inscrite dans une salle de bloc pour continuer à progresser et devenir plus forte. J’ai fait mes études aux États-Unis pendant quatre ans et c’est là-bas que j'ai découvert l’escalade en fissure. Un nouveau monde s’ouvre à moi et je suis à nouveau une débutante de la discipline. C’est en prenant peu à peu confiance dans les coinceurs et en faisant beaucoup de chutes dessus que je me suis mise à tester mes limites et à voir jusqu’où je pouvais aller.
Peux-tu également nous parler des ascensions majeures que tu as déjà réalisées ?
Je pense particulièrement à trois différentes ascensions qui ont été des tournants dans mon escalade:
La première ascension féminine du toit de San Peyre (Toulon) en 2021 où la grimpe se fait à l’horizontal à 13 mètres de haut. Il faut réussir à garder son calme jusqu’à la fin car la sortie de ce 8a se fait à plus de 20 mètres au-dessus de l’eau.
La seconde ascension que j’ai préparée pendant six mois m’a permis d’enchaîner Free Rider (7c+ / El Capitan, Yosemite) ce qui représente 1,000 mètres d’escalade sur 7 jours. Cela a été mon premier vrai Big Wall avec le hissage de sacs de plus de 150 kilos. Enchaîner un 7c+ en couenne lorsqu’on est frais peut se faire en une journée mais le faire après 3 jours de grimpe intense et physique est une toute autre histoire. Grimper sur El Capitan, cette falaise majeure et mythique, a été une expérience tellement forte et unique que je n’ai plus qu’une envie, c’est d’y retourner.
Enfin, faire la 2ème répétition de Greenspit (8b/+ - Valle Dell Orco Italie), qui a été pendant longtemps la fissure la plus difficile d’Europe, m’a confortée dans ma passion de l’escalade en fissure. Je sais maintenant que je veux continuer à progresser dans ce domaine là.

Tu es maintenant reconnue pour tes prouesses en escalade de fissure d'où cela vient il ?
Brittany Goris, une grimpeuse professionnelle américaine a cru en moi et m’a appris tout ce qu’elle savait des fissures. Avoir le bon mentor en escalade traditionnelle est essentiel pour acquérir de solides bases et maîtriser sa peur. Je dois également avouer qu’il faut accepter d’avoir mal aux mains et aux pieds lors de ses premières séances en fissure et qu’avec le temps et la pratique, ces douleurs finissent par disparaître. L’escalade en fissure demande un investissement à 200% du corps et de l’esprit et c’est ce qui fait la beauté de ce type d’escalade.
Peux-tu nous détailler la voie, les sections les plus difficiles et la façon dont tu les as abordées mentalement ? Est-ce que certaines étapes t’ont demandé de sortir de ta zone de confort ?
J’ai essayé pour la première fois le Toit du Baou (Toulon) en janvier 2024 en revenant d’un voyage au Yosemite. J’étais curieuse de savoir si mon expérience des fissures me permettrait d’enchaîner cette voie mythique. Pendant 4 séances intenses et douloureuses et malgré les méthodes que j’avais trouvées, je n’arrivais pas à tenir assez longtemps dans ces coincements de mains fuyant. Je suis ensuite passée à d’autres projets car ce toit ne fait que 6 mètres de long et ce n’est pas toujours motivant de grimper si peu pendant une séance en falaise.
J’y suis retournée en janvier 2025 pendant une journée où il y avait énormément de vent et j’ai réussi à passer le crux quatre fois, mais sans réussir la voie. J’ai alors compris que c’était possible et que je n’étais pas si loin de pouvoir la faire.
Le crux de cette voie est un bi-doigt tranchant qu’il faut tenir assez longtemps en blocage pour ensuite aller en dynamique dans une coincement de main fuyant. Ce mouvement a été sans aucun doute le plus dur physiquement pour moi. Les gants de fissure ont été essentiels pour cette voie car notre calcaire toulonnais n’est pas forcément le plus agréable concernant les coincements.
Samedi dernier, le 18 Janvier 2025, j’ai réussi à enchaîner la voie lors de mon premier essai en me mettant dans un état d’esprit de guerrière et en mobilisant toute ma détermination.

La première ascension féminine d’une voie mythique, cela représente-t-il une forme de pression supplémentaire, ou au contraire, te motive-t-il encore plus ?
Réussir ce projet m’indique seulement que je suis sur la bonne voie et que ma technique en fissure s’améliore. Avoir des projets me pousse continuellement à me confronter à mes limites et à progresser. J’aime ce processus où je pense qu’une voie est peut être impossible pour moi aux premières montées jusqu’au moment où la magie s’opère lors de l’enchainement.
Penses tu que les femmes dans l’escalade sont suffisamment représentées dans les voies historiques, notamment dans les projets comme ceux que tu réalises ?
Je ne peux pas nier le fait que l’on voit peu de films montrant les grimpeuses qui se lancent des challenges aussi ambitieux que ceux des hommes (sur le plan physique et mental). Il y a pourtant tellement de grimpeuses et de femmes vidéastes très inspirantes qui mènent de beaux projets qui mériteraient d’être partagés et filmés. Dans les années à venir, un de mes objectifs est d’apporter ma pierre à l’édifice et de mettre aussi en lumière les projets de grimpeuses au travers des films.
Le Toit a été la première 7c+ de Patrick Edlinger. Quel rôle ce genre de symboles joue-t-il dans ta perception de l’escalade, et comment ces références influencent elles ta manière d’aborder les projets ?
Patrick Edlinger est notre héros local à Toulon et la majorité des grimpeurs dans le sud ont entendu parler de celui qui a fait découvrir l’escalade au grand public en France. Depuis que j’ai commencé à grimper en falaise à Toulon, j’ai essayé de faire toutes les voies qu’il a équipées, elles sont toutes plus belles les unes que les autres. Son escalade était une danse verticale qui, j’espère, inspire encore les nouvelles générations et je recommande à tout grimpeur de regarder sur YouTube ces deux vidéos: « La Vie Au Bout Des Doigts » et « Opéra Vertical ».
On te connaît pour ton approche extrêmement réfléchie de l’escalade, notamment en trad. Pour toi, quel est le prochain projet que tu aimerais relever pour repousser encore plus loin tes limites ?
Mon prochain défi se passera en juin 2025 au Yosemite et sera sans aucun doute un des défis les plus difficiles et dangereux que je me sois lancé. Je ne préfère pour l’instant pas en dire plus et il vous faudra suivre la suite de mes aventures.
En tant que grimpeuse engagée dans des voies mythiques, que dirais tu à toutes ces jeunes femmes qui rêvent de suivre tes traces ? Quel conseil leur donnerais tu pour qu’elles se sentent prêtes à relever leurs propres projets ?
Je vous dirais de foncer, de croire en vous, d’être déterminées, de rencontrer et de vous entourer de personnes qui ont ce même feu intérieur et de tout mettre en oeuvre pour réaliser vos rêves!
Accomplissez vos rêves et vos projets quelque soit le temps que cela demande (mois, années) car quand vous réussirez, c’est la promesse de vivre des moments intenses et inoubliables. Mon prochain rêve me fait très peur mais je sais qu’avec du travail, beaucoup d’entraînement, une bonne analyse de la sécurité et une partenaire de confiance, nous pouvons réussir.

💭 : @Laura Pineau
📸 : @fever-raw
🗞️ : @GrimpActu