Il y a trois jours, la dernière étape de la Coupe d’Europe d’escalade de difficulté et de vitesse s’est achevée à Bologne, marquant la fin d’une saison palpitante pour les grimpeurs européens. L’événement, qui s’est déroulé du 13 au 15 septembre au gymnase Level 24 à Casalecchio di Reno, a vu s’affronter des grimpeurs redoutables.
Après les Championnats d'Europe à Villars en Suisse, cette compétition a clôturé le calendrier 2024 des épreuves européennes. Parmi les performances remarquables de cette étape, la Française Ina Plassoux Djiga (Chambéry Escalade) s'est particulièrement illustrée en remportant la médaille d’or grâce à un impressionnant Top dans la voie finale. Son coéquipier, Arsène Duval, a quant à lui décroché la médaille d'argent, complétant ainsi une superbe performance de l'équipe de France.
D’autres athlètes tricolores se sont également bien défendus, avec Maël Grenier (Chambéry escalade) se classant 11e, suivi de Lucas Dufros (Lyon escalade sportive) à la 15e position.
Pour mieux comprendre cette performance exceptionnelle, nous avons échangé avec la principale intéressée, Ina Plassoux Djiga. Grimpeuse de 25 ans originaire de Brest et désormais installée à Grenoble, Ina n’est pas seulement une athlète, elle est également kinésithérapeute sur son temps libre. Membre de l’équipe de France d’escalade de difficulté depuis 2020, elle concilie avec passion une vie d’athlète et une carrière professionnelle.
En parlant de la compétition à Bologne, Ina a décrit une ambiance spéciale, propre aux Coupes d’Europe.
"Les Coupes d’Europe sont toujours des compétitions hyper cool avec des compétiteurs aux profils bien différents : des jeunes qui viennent chercher de l’expérience tout en étant capables de gagner, d’autres qui n’ont pas ou peu eu la chance de s’exprimer sur le circuit de Coupe du monde et qui ont donc aussi très envie de performer, ou encore des moins jeunes (comme moi) qui sont arrivés sur le tard et qui sont encore en recherche d’expérience au niveau international.
En ce qui concerne notre French team, c’était une équipe un peu différente des Coupes d’Europe précédentes. Chez les filles notamment, il y avait eu pas mal de désistements en vue des compétitions jeunes (championnats d’Europe) et seniors (Coupe du monde de Séoul) à venir dans les prochaines semaines. Cela a donc donné la possibilité à d’autres filles de s’exprimer à l’international et de prendre leur première sélection de l’année (ou même de leur vie), et ça, c’est toujours top ! On était une super équipe ! Tout le monde avait à cœur de performer, mais ça ne nous a pas empêchés de beaucoup rigoler et d’aller souvent chez le glacier."
Un parcours semé d’embûches, mais une victoire éclatante
Ina raconte cette Coupe d’Europe de Bologne comme une véritable épreuve de force, tant mentalement que physiquement. Après un début de compétition difficile, elle s'est retrouvée dans une position inconfortable, tombant dans le premier piège de la voie lors des qualifications. Cependant, sa détermination et sa capacité à se remobiliser lui ont permis de rebondir en topant la deuxième voie de qualification, assurant ainsi son ticket pour les demi-finales.
"Pour moi, la Coupe d’Europe de Bologne était la dernière compétition de la saison. Et c’était la dernière d’un enchaînement de trois compétitions en trois semaines, car les deux semaines précédentes, j’étais aux Championnats d’Europe à Villars, puis à la Coupe du monde de Koper. Avant d’arriver à Bologne, ma saison était déjà réussie, mais j’accorde beaucoup d’importance à ce circuit de Coupe d’Europe. J’avais donc vraiment envie de faire une grosse compétition, de grimper encore une fois du mieux possible et de mettre en place tout ce que j’ai appris ces derniers mois (puis si possible de faire un gros résultat). Ayant terminé quatrième sur la première étape, la seule solution pour faire mieux en termes de résultat était de monter sur le podium. Alors je ne venais pas à Bologne juste pour manger des glaces et de la bolognaise…
En ce qui concerne la compétition en elle-même, je pense que j’étais dans un très bon état d’esprit en arrivant, et plutôt en forme malgré une petite fatigue qui commençait à s’installer après Koper. Pourtant, ma compétition a très, très mal commencé. Je dirais même qu’il était difficile de faire pire. Dans mon premier run, je me suis classée parmi les cinq dernières de la voie (et ce n’était pas à cause d’une zipette ou d’un autre incident de grimpe, j’ai juste très mal grimpé et je suis tombée dans le premier piège de la voie).
J’ai donc dû m’employer très fort pour me remobiliser et mettre un énorme run dans la deuxième voie (que j’ai topée) pour me qualifier en demi-finale."
Le véritable tournant est survenu lors de la finale. Face à une voie exigeante et à une adversaire redoutable, la Belge Héloïse Doumont, Ina a su garder son calme et rester concentrée sur sa propre grimpe.
"Psychologiquement, ça m’a mis un petit coup, non pas à cause de la signification du classement, mais parce que j’ai eu l’impression que mes vieux démons de grimpe, que j’avais réussi à laisser de côté quasiment toute la saison, revenaient me hanter.
J’ai donc abordé la demi-finale sûre de mes forces et de mes capacités à accéder à la finale, mais j’étais aussi consciente de mes faiblesses, qui restaient présentes dans un petit coin de ma tête… J’ai dû lutter contre cela à l’approche de ma demi-finale.
Ma demi-finale s’est très bien passée. La voie me convenait, je pense, parfaitement, et je me suis classée deuxième de ce tour. Cela m’a donc redonné un peu de confiance. De plus, certaines filles qui, selon moi, pouvaient fortement prétendre au podium se sont fait piéger lors de cette demi-finale et n’ont donc pas accédé à la finale. Je savais alors que cette finale pourrait être assez ouverte, mais que monter sur le podium et gagner serait tout de même très difficile, car toutes les filles en finale avaient les capacités de décrocher une place sur le podium. Pour me frayer un chemin vers ce podium, je savais qu’il fallait que je grimpe à mon meilleur niveau et que je me batte coûte que coûte jusqu’au relais.
Quant à la finale, j’avais un peu peur lors de la lecture de la voie, car elle ressemblait un peu à la voie de qualification où je n’avais pas réussi à m’exprimer. Mais j’ai réussi à rester concentrée uniquement sur ma grimpe et sur ce que j’avais à faire. Cela m’a permis d’arriver sereine et prête à tout donner au pied de la voie. La finale était un peu moins intense que prévu au début, mais sur la fin, il ne fallait pas se faire surprendre. Il fallait être présente et s’engager à 1000 % pour avoir une chance de monter sur le podium et de gagner. En descendant, je savais que Héloïse Doumont, la Belge, avait de grandes chances de toper la voie, car elle est en grande forme cette saison, et je pense que cette voie était vraiment dans son style. Dans ma tête, j’étais donc prête à terminer deuxième, et c’était OK. Elle tombe finalement deux mouvements avant le top, ce qui m’offre la victoire. (À la fin, face à la Belgique, c’est toujours la France qui gagne de toute façon).
Je suis vraiment contente de cette victoire. C’est mon premier podium, et donc ma première victoire sur une compétition internationale ! (En vérité, je n’ai même jamais gagné au niveau national toutes catégories confondues, donc c’est un peu la première fois que je gagne une compétition tout court ). En plus, avec un top en finale, sur la dernière voie de la saison, je ne pouvais pas rêver d’un meilleur scénario !"
Un entraînement rigoureux et une passion intacte
Pour arriver à ce niveau de performance, Ina s’entraîne avec rigueur sous la houlette de Vince Etchar, malgré la distance qui les sépare, elle à Grenoble et lui à Toulouse. Loin d’être une professionnelle à plein temps, Ina doit jongler entre son travail de kinésithérapeute et ses séances d’entraînement intensives.
"Cependant, l’escalade et l’entraînement sont prioritaires à 1000 % sur mon travail (et sur presque tout le reste de ma vie, finalement). J’y consacre tout le temps que mon entraîneur juge nécessaire pour atteindre nos objectifs. J’aménage donc au maximum mon emploi du temps pour que ce soit le plus viable possible, surtout à l’approche et pendant la saison, où je travaille quand même beaucoup moins qu’en hiver pour arriver au top sur les compétitions ! J’essaie tout de même de faire d’autres choses, d’autres sports, de voir mes amis, ma famille, etc., car c’est aussi très important pour moi et nécessaire à mon équilibre. Mais bon, à la fin, s’il y a un choix à faire, c’est 99 % du temps l’entraînement qui gagne… Mais c’est mon choix, et je suis pour le moment en accord avec ça !
En ce qui concerne mon entraînement pour cette compétition, on va dire que je ne me suis pas entraînée spécifiquement pour celle-ci. Je me suis entraînée pour le circuit international en général : Coupe du monde et Coupe d’Europe, car j’avais des objectifs sur les deux. La saison a été découpée en plusieurs parties, ce qui m’a permis de me réentraîner et de progresser entre chaque bloc de compétition. Pour Bologne, sachant que cela faisait déjà deux semaines que j’étais en compétition, le maître-mot a été la fraîcheur. J’étais en forme, mais il fallait arriver avec le plus d’énergie mentale et physique possible. C’était ça le défi principal de cette dernière échéance pour moi, je pense."
Et après Bologne ?
Pour la suite, Ina prévoit de prendre du recul après cette saison intense.
"Pour le moment, mon objectif à court terme est de récupérer de cette incroyable saison et de faire une petite pause pour repartir à 1000 % quand il le faudra. Je vais donc rentrer un peu en Bretagne, voir ma famille et mes amis, me reposer et faire le point sur cette grande saison qui vient de se terminer. Ensuite, je reviendrai dans le coin pour aller en falaise. J’ai quelques petits projets ouverts et j’ai vraiment à cœur d’y consacrer du temps et de les réaliser cet hiver. Bien sûr, je vais aussi assez rapidement reprendre l’entraînement pour la saison prochaine.
Pour mes objectifs sur les saisons à venir, je n’ai pas encore fait le point avec mon entraîneur. Cette saison, j’ai réalisé presque tous mes objectifs en termes de grimpe et de résultats. Et je dois avouer que ce sont des objectifs que j’avais depuis plusieurs saisons déjà. C’est donc un peu comme si c’était la fin d’un cycle, et j’ai déjà hâte d’entamer le prochain ! Mais, comme toujours, l’objectif sera de devenir de plus en plus forte en escalade !
Pour finir, je souhaite le meilleur à tous les Français qui ont encore des compétitions cette saison, et en particulier aux jeunes qui vont se battre pour le titre dans une semaine aux championnats d’Europe de Troyes, à la maison. Faites-nous rêver !"
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