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En pollera au sommet du Mont Blanc : l’ascension historique des Cholitas Escaladoras

  • Photo du rédacteur: GrimpActu
    GrimpActu
  • il y a 1 jour
  • 5 min de lecture

En août 2025, quatre femmes aymaras vêtues de leurs polleras traditionnelles ont atteint le sommet du Mont Blanc. Leur ascension marque une nouvelle étape pour les Cholitas Escaladoras, ce collectif bolivien déjà révélé au grand public en 2020 grâce à un documentaire qui suivait plusieurs d’entre elles jusqu’au sommet de l’Aconcagua, en tenue traditionnelle.


Depuis cette médiatisation en 2020, cinq années ont passé, et leurs trajectoires ont pris une ampleur inattendue. Leur histoire, d’abord perçue comme un geste singulier, s’est transformée au fil des saisons en mouvement durable. Elles ont multiplié les ascensions, formé de nouvelles recrues, et construit peu à peu une présence incontournable dans l’alpinisme andin.


Aujourd’hui, c’est cette continuité – cette progression patiente, presque silencieuse – qui donne tout son sens à leur arrivée au Mont Blanc. Elles ne surgissent pas soudainement en Europe : elles y arrivent après un chemin de cinq ans qui n’a cessé de faire évoluer les règles du jeu



Polleras en altitude : une identité longtemps contenue

Dans les rues haut perchées de La Paz et d’El Alto, à près de 4 000 mètres, les polleras colorées font partie du paysage. Ces jupes traditionnelles portées par les femmes aymaras et quechuas racontent pourtant une histoire moins simple qu’il n’y paraît : celle d’une identité longtemps stigmatisée, d’un vêtement associé à la marginalisation sociale, culturelle et raciale.


Pendant des générations, “cholita” était une insulte. La pollera, elle, désignait la pauvreté. On demandait aux femmes qui voulaient “réussir” de l’abandonner, de gommer leur accent, de lisser tout ce qui rappelait un peu trop leurs origines indigènes.


Et puis, sans qu’on puisse dater précisément le basculement, quelque chose s’est inversé. Une nouvelle génération de femmes s’est réapproprié ce mot, ce vêtement, cette présence. Elles en ont fait un symbole. Et certaines ont choisi un terrain inattendu pour le porter : la haute montagne.


Là où personne ne les attendait — sur les arêtes glacées, au bord des crevasses, sur les sommets racontés depuis un siècle par des corps masculins et occidentaux — les polleras sont apparues.


Ce mouvement a désormais un visage collectif : les Cholitas Escaladoras.


De l’ombre des camps de base à la lumière des sommets

Le groupe naît en 2015. Elles commencent par le Huayna Potosí (6088 m). Puis l’Illimani (6462 m). Et en 2019, cinq d’entre elles atteignent l’Aconcagua. Une première historique pour des femmes aymaras.


Mais leur progression n’a rien d’une aventure sportive classique. Pendant des années, elles ont travaillé en montagne comme cuisinières, porteuses ou aides logistiques.

Elles montaient, redescendaient, s’essoufflaient dans les mêmes pentes que les clients… mais restaient invisibles. Ni dans les récits, ni dans les photos, ni dans les carnets d’ascension.


Alors le jour où elles ont décidé de prendre la corde elles-mêmes, rien n’avait de folklorique. Ce n’était pas une mise en scène. C’était un retour logique : prendre la place qu’elles maîtrisaient déjà, cette fois au premier plan.


Aujourd’hui, ce sont elles qui ouvrent la marche.


Le Mont Blanc : franchir une frontière symbolique

Le 26 août 2025, quatre d’entre elles — Ana Lia Gonzales Magueño, Estrella Magueño, Heydi Gonzales et Teodora Puchuri — atteignent le sommet du Mont Blanc par l’itinéraire historique. À 4 810 mètres, elles brandissent le drapeau bolivien.

Polleras sur doudounes. Superpositions improbables mais assumées.


La scène a circulé dans les médias, mais l’important se trouve ailleurs : cette ascension s’inscrit dans une continuité. Après les Andes et l’Aconcagua, venir sur le Mont Blanc revenait à entrer dans une histoire qui, jusqu’ici, ne leur faisait pas de place. Et à le faire en pollera, là où tant de femmes indigènes ont entendu toute leur vie que “ce n’était pas une tenue sérieuse”.


Car la pollera, en Bolivie, a servi de prétexte à des exclusions très concrètes :des écoles, des restaurants chics de La Paz, des banques, des universités, des entreprises occidentalisées… et bien sûr, le milieu élitiste de l’alpinisme.


Ne pas l’enlever, c’était parfois perdre un emploi ou un service. Comme si une jupe pouvait décider de la légitimité d’un corps.



Une révolution sociologique en mouvement

« Nos polleras ne nous empêchent pas de grimper », répètent-elles.

Ce n’est pas seulement une phrase. C’est une critique de l’idée d’un matériel, d’un look, d’un corps “approprié” pour la montagne. La pollera devient un manifeste silencieux : on peut grimper sans renier sa langue, sa culture, son histoire.


L’alpinisme s’est construit sur les mêmes images — hommes privilégiés, matériel dernier cri, récit héroïque. Les Cholitas cassent cette image. Par leurs corps, leur culture, leur classe sociale, elles élargissent l’imaginaire de la montagne et interrogent la légitimité de ceux que l’on voit en hauteur.


Elles rappellent aussi que l’accès au matériel, aux formations, aux clubs, dépend d’un capital économique et social que beaucoup n’ont pas. Elles déplacent la verticalité vers l’égalité.


Résister au machisme andin, tracer une voie féminine

Dans les Andes, le machisme imprègne encore la vie quotidienne. La montagne n’y échappe pas. Pendant longtemps, on disait que l’altitude affaiblissait les femmes ou attirait la malchance. Ces croyances suffisaient à les écarter.


Quand les Cholitas ont commencé à s’encorder, les réactions ont été vives : remarques, doutes, refus déguisés en “questions de sécurité”. Certaines ont été photographiées comme des curiosités folkloriques, plutôt que comme des alpinistes à part entière.

Chaque ascension devenait alors un acte transgressif. Pas seulement atteindre un sommet : contester un ordre implicite.


Et parce qu’elles sont visibles aujourd’hui, les jeunes les regardent autrement. Dans les rues de La Paz et d’El Alto, des filles posent des questions, observent leur matériel, imaginent d’autres trajectoires.


Des écoles les invitent. Des familles acceptent enfin que leur fille rejoigne une sortie d’initiation. Même des agences d’expédition commencent à revoir leurs pratiques.

Elles ne cherchent pas à devenir des héroïnes. Mais elles deviennent des références.


L’avenir : Himalaya, 8 000 m, transmission

Le collectif avance rapidement. Elles envisagent désormais un 8 000, peut-être en Himalaya. Elles se renseignent, se forment, calculent les coûts — bien plus élevés que dans les Andes.


Parallèlement, elles organisent en Bolivie des journées d’initiation autour d’El Alto. Elles prêtent du matériel, apprennent à gérer la fatigue, à lire le terrain, à marcher encordées. Le but n’est pas de fabriquer des alpinistes en trois semaines, mais d’ouvrir la porte.


Elles travaillent aussi à la création d’une génération de guides aymaras. Certaines suivent déjà des modules à l’École bolivienne de haute montagne. Elles négocient pour accéder à des stages d’observation, encore difficiles pour les femmes indigènes.


À terme, elles veulent une filière complète, où des jeunes d’El Alto seraient formées par leurs aînées — sans avoir à franchir les barrières sociales habituelles.

Pour elles, la montagne est un lieu d’apprentissage : décider, s’orienter, affronter l’inconnu. Se faire confiance.


Redéfinir la hauteur

Les Cholitas Escaladoras grimpent pour elles, pour leurs filles, pour leurs mères, pour toutes celles à qui l’on a répété que les sommets ne leur appartenaient pas.


Leur présence transforme l’imaginaire collectif. Elle bouscule la manière dont on décide qui a le droit d’être en altitude. La montagne, longtemps espace réservé, devient entre leurs mains un terrain où se renversent des hiérarchies anciennes.


Elles ne grimpent pas malgré leurs polleras. Elles grimpent avec.

Et c’est là que tout se joue.




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