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Quand l’humour sert d’alibi au sexisme — le cas du Rempart

  • Photo du rédacteur: GrimpActu
    GrimpActu
  • 11 nov.
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 13 nov.

Chaque année, la salle du Rempart, près de Fontainebleau, organise ses célèbres contests : un “100 % filles” et un “100 % mecs”. L’idée pourrait être festive, conviviale, inclusive même. Sauf que depuis plusieurs éditions, la communication qui entoure ces événements provoque un tout autre effet : malaise, indignation, incompréhension.


Sous couvert d’humour, la salle publie des messages truffés de clichés sur les grimpeuses — et selon plusieurs commentaires, la publication n’a pas fait rire tout le monde.


La publication, jugée sexiste par une partie de la communauté, a été retirée après une vague de commentaires critiques. Mais l’affaire, elle, continue de faire parler.


Un humour qui ne passe plus

Déjà en 2023, la salle avait fait parler d’elle avec un post de promotion du contest “100 % filles”, que plusieurs membres de la communauté ont jugé au ton douteux.


Moqueries sur les “pleurnicheries” des grimpeuses, références appuyées à leurs “ouin ouin c’est morpho” et à “leurs excuses préférées”… Le tout présenté comme de la “bonne humeur” et du “second degré”.


Les réactions avaient été nombreuses, et plusieurs voix s’étaient déjà élevées pour dénoncer une communication sexiste, loin de l’image inclusive que le monde de l’escalade tente aujourd’hui de promouvoir.


«On aimerait vous dire que c'est le contest le plus attendu de l'année, qu'il déchaîne les foules et qu'il nous offre à chaque fois un spectacle exceptionnel mais malheureusement on vous aime trop pour vous mentir. Entre les chutes à répétition et le pleurnicheries "ouin ouin c'est morpho" la soirée s'annonce longue, très longuuuuue et oui vous l'aurez compris c'est le retour de notre parodie d'escalade préférée j'ai nommé, le contest 100% Filles !»

Publication Instagram du compte @lerempartescalade pour le contest 100 % fille 2023


Cette année, même contest, même ton. Le Rempart remet ça — comme si les critiques de 2023 n’avaient jamais existé. Cette fois encore, les messages reprennent les mêmes clichés genrés : grimpeuses émotives, plaintives ou superficielles, le tout enrobé d’un humour qui se veut décalé.Mais le contexte a changé : la communauté grimpe, elle, ne laisse plus passer aussi facilement.


Sous la publication, les commentaires se multiplient, certains tentant de rappeler calmement pourquoi ce type de discours pose problème. Et plutôt que d’engager la discussion, la salle choisit la suppression pure et simple du post. Pas d’excuse, pas d’explication — juste un effacement, comme si rien ne s’était passé.


Ce geste, plus qu’une simple modération, a été perçu comme une forme de mépris : non seulement les remarques sont ignorées, mais les personnes qui les formulent sont effacées du débat. Et c’est sans doute ce sentiment-là — celui de ne pas être écouté — qui cristallise aujourd’hui la colère d’une partie de la communauté.


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 Publication Instagram du compte @lerempartescalade pour le contest 100 % fille 2025 et des retours de la communauté.


Mais la suppression du post n’a pas suffi à éteindre la polémique. Bien au contraire : la communauté s’est emparée du sujet.


Réaction de la communauté : L'histoire de Pauline

Parmi celles et ceux qui ont réagi à la publication du Rempart, Pauline, grimpeuse angevine, fait partie des voix qui se sont exprimées. Son commentaire, pourtant mesuré, visait simplement à pointer le caractère sexiste de la communication et à rappeler que ce type de “blague” n’a plus vraiment sa place dans une salle d’escalade en 2025.


Quelques jours plus tard, alors qu’elle s’apprêtait à participer à une étape du Rocktour à Angers — un contest co-organisé par l’un des gérants du Rempart —, Pauline découvre avec surprise qu’elle a été désinscrite de la compétition. Aucun message d’explication, juste un mail automatique confirmant son retrait.

« Je n’ai rien écrit de méchant, simplement que je n’étais pas d’accord avec la publication. Et là, je vois que je ne figure plus sur la liste des inscrits. J’ai trouvé ça sidérant. » — Pauline

Le geste a choqué nombre de pratiquants. Car au-delà de la polémique sur la communication, il pose une question plus large : peut-on être sanctionné pour avoir exprimé un désaccord ? Dans un milieu aussi communautaire que celui de la grimpe, où beaucoup de choses reposent sur la convivialité et la confiance, cette désinscription a été vécue comme un signal inquiétant — celui d’un espace qui se ferme à la critique.


Plusieurs grimpeuses et grimpeurs ont relayé l’histoire sur les réseaux, dénonçant une forme de représailles déguisée et soulignant le paradoxe d’un événement censé célébrer la passion commune de l’escalade, mais qui choisit d’exclure une participante pour avoir simplement donné son avis.


« Organiser un événement destiné aux femmes tout en véhiculant une pensée sexiste sous couvert d’humour, ce n’est plus acceptable en 2025. M’exclure ensuite d’un autre de ses événements pour avoir simplement dénoncé cette communication, ce n’est pas acceptable non plus. Ce n’est ni du dialogue ni une remise en question : c’est une sanction envers celles qui refusent de se taire.» — Pauline

L’affaire a rapidement dépassé le cas individuel de Pauline. Elle a agi comme un déclencheur, donnant écho à un sentiment plus général de fatigue et d’injustice ressenti par de nombreuses femmes dans le milieu.

Sur Instagram, plusieurs stories et publications d’autres grimpeuses ont repris le sujet, rappelant que le problème n’est pas un simple “mauvais goût” humoristique, mais bien une culture qui peine encore à écouter les premières concernées.


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— Mail envoyé à Pauline par le directeur du Rempart


L’humour, une excuse trop facile ?

Depuis plusieurs années, la salle du Rempart justifie ses publications sexistes sous couvert d’humour. “C’est du second degré”, “C’est pour rire”, répète-t-on en coulisses. Mais pour une partie de la communauté, cet argument ne tient plus : il masque une véritable problématique culturelle et minimise l’impact que ce type de communication peut avoir.


L’humour peut être un formidable outil pour créer du lien et faire passer des messages, mais lorsqu’il repose sur des stéréotypes de genre, il devient ce que les sociologues appellent un humour de domination : il normalise les inégalités et reproduit des hiérarchies sociales existantes. Car caricaturer les grimpeuses comme émotives, plaintives ou superficielles ne fait pas rire tout le monde : cela réduit des personnes complexes à des clichés simplistes.


L’humour comme alibi : légitimation et pouvoir

Un mécanisme clé est celui de la légitimation humoristique. En présentant un propos offensant comme une blague, l’auteur tente de se protéger des critiques et de neutraliser les objections. Dans le cas du Rempart, le “second degré” permet de :


  • minimiser l’importance des critiques,

  • rejeter la responsabilité de l’offense sur la perception des autres (“vous n’avez pas d’humour”),

  • et créer un espace où certaines remarques deviennent intouchables, même si elles véhiculent des clichés sexistes.


Mais cette stratégie n’est pas neutre. Comme le soulignent les recherches sur l’humour offensif, plaisanter sur un groupe minoritaire ou marginalisé peut :

  • dévaluer les personnes ciblées, même inconsciemment,

  • renforcer les hiérarchies sociales au sein du groupe,

  • créer un climat de silence ou d’auto-censure pour celles et ceux qui voudraient dénoncer.


L’exemple de Pauline illustre parfaitement ce mécanisme : exprimer son désaccord a entraîné une sanction — sa désinscription — et envoyé un message implicite à la communauté : les critiques ne sont pas tolérées. L’humour a été perçu par la communauté comme servant à masquer le sexisme et à consolider le pouvoir des organisateurs sur la participation et la visibilité des pratiquants.


Quand rire exclut

Enfin, l’humour peut fonctionner comme un outil de socialisation pour certains et d’exclusion pour d’autres. Dans le sport et la sociologie de l’humour, il est montré que les blagues sexistes créent un sentiment d’appartenance pour ceux qui rient avec, mais produisent un sentiment d’exclusion pour celles et ceux qui se sentent visés.


Dans un milieu censé être inclusif et convivial, ce type d’humour devient ainsi un mécanisme qui renforce les inégalités et marginalise certaines voix, plutôt qu’un simple moment de “bonne humeur”.


Pour beaucoup, le problème n’est donc pas un humour mal compris, mais une culture qui reproduit des biais sexistes et peine à évoluer. L’affaire du Rempart et la réaction de Pauline mettent en lumière un conflit plus large : la tension entre tradition humoristique et ambition d’un milieu d’escalade réellement inclusif.


Entre humour et inclusion, quelle voie pour l’escalade ?

L’affaire du Rempart ne se résume pas à une simple querelle autour d’un post Instagram ou d’un contest. Elle illustre un problème plus large : la difficulté pour certains espaces de loisir, même communautaires et conviviaux, à concilier humour, tradition et respect des participants.


Pour la communauté, l’enjeu est clair : il ne s’agit pas d’interdire le rire, mais de questionner les blagues qui perpétuent des stéréotypes et marginalisent certaines personnes. L’expérience de Pauline, désinscrite pour avoir exprimé un désaccord, est symptomatique d’un malaise plus profond : dans un milieu qui se veut inclusif, certaines voix sont encore ignorées, voire sanctionnées.


Ce débat ouvre également une réflexion sur la communication des événements sportifs et associatifs. Les organisateurs doivent désormais se demander si leur humour sert réellement le lien social ou s’il devient un instrument d’exclusion. Dans un contexte où l’escalade attire de plus en plus de femmes et cherche à promouvoir la diversité, continuer à banaliser les stéréotypes peut fragiliser la cohésion de la communauté et nuire à l’image du sport.


L’humour peut rester une composante de l’escalade festive et conviviale, mais il doit désormais coexister avec le respect, l’équité et l’inclusion, sous peine de perdre ceux qu’il prétend rassembler.


➡️ Contacté par GrimpActu, le directeur n’a, pour l’heure, pas donné suite à nos sollicitations.


✍️ : Théo de GrimpActu.




2 commentaires


pibiqigolom
26 nov.

Quelles réactions de climb up Angers?

J'aime

Laurel Smith
Laurel Smith
13 nov.

...Et Block Out 3 avec un peu de "casual racism."

ree

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