Résurrection, grande voie extrême à Bavella : premier 9a français ?
- GrimpActu
- il y a 7 heures
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Il est 4h30 du matin, samedi 8 novembre. Le bateau remonte vers le nord, dans une Méditerranée agitée. La fatigue est déjà bien installée. La margarita partagée quelques heures plus tôt avant le départ appartient au passé, rendue à la mer.
C’est à ce moment-là que se referme l’aventure vécue par Symon Welfringer et Hugo Parmentier. Début novembre, ils se sont lancés dans un projet hors norme : ouvrir une grande voie extrême sur la Punta di Lunarda, dans le massif de Bavella, en choisissant une approche volontairement lente et autonome. Vélo, bateau, bivouac, autarcie. Loin des standards actuels, ils ont voulu que le chemin compte autant que la ligne.
Le résultat est une voie de 250 mètres, probablement la plus difficile jamais équipée en France. Mais surtout, une aventure totale, où le rocher, la fatigue et le temps long ont dicté leur loi. Dans le même temps, ils ont exploré l’Archéron, grande voie mythique restée mystérieuse au fil des années, avec une longueur pouvant frôler le 9a+/b.
Dans les lignes qui suivent, découvrez leur aventure pas à pas, entre fatigue, émerveillement et dépassement de soi, au cœur d’un projet hors norme.

Le voyage avant la voie
Mardi 21 octobre, à 5 heures du matin, Symon Welfringer et Hugo Parmentier enfourchent Roméo, leur vélo tandem, pour entamer ce qui sera leur principal moyen de locomotion pendant trois semaines. La journée est longue : 320 kilomètres à parcourir, avec 3 000 mètres de dénivelé positif, dans des conditions déjà hivernales. Les genoux de Hugo protestent, la fatigue s’accumule, et chaque montée devient un petit combat.
Vingt heures plus tard, le duo atteint le port de Saint-Mandrier, où les attend le voilier de Francis. Les plus de 100 kilos de matériel d’escalade et d’équipement envoyés par covoiturage quelques jours plus tôt sont prêts à embarquer. La tempête Benjamin se profile et le créneau pour traverser avant plusieurs jours se réduit rapidement.
À peine le temps de souffler, les vélos sont fixés à l’arrière du bateau, et les deux jeunes moussaillons, inexpérimentés en mer, se retrouvent projetés au milieu de la Méditerranée.
« Les 160 miles nautiques nous séparant de la Corse sont un calvaire. La fatigue est omniprésente et les quarts sont extrêmement durs à tenir. Nous prenons le temps de régurgiter les 25 boulangeries de la journée de vélo. Heureusement, Capitaine Francis, lui, tient tête à la barre et au sommeil.» — Symon Welfringer
Au petit matin, un orage éclate : grêle, creux de trois mètres, voiles affalées. La peur s’installe : sont-ils suffisamment reposés pour mener cette traversée à bien ? Leurs compétences sont limitées, et le doute s’invite. Mais la motivation reprend vite le dessus. Le cap est maintenu. Ils navigueront.
Trente-six heures plus tard, complètement épuisés, ils atteignent enfin Propriano. Le voyage à vélo et la traversée en mer n’étaient pas qu’une mise en jambe : ils marquent le point de départ réel de leur aventure corse, celle qui les conduira bientôt au pied de la Punta di Lunarda.

Bavella et la Punta di Lunarda
Dès leur arrivée à Propriano, le vrai travail commence. Direction le massif de Bavella et la Punta di Lunarda, cette paroi élancée qui fascine Symon depuis sa première visite.
Le granite, d’une densité et d’une pureté rare, impose le respect : chaque pas doit être mesuré, chaque placement réfléchi. Loin de l’agitation touristique, ils installent leur campement, alimentent leurs batteries, préparent le matériel, et se mettent dans le rythme de l’expédition.
Les journées sont longues, sans répit. L’eau des torrents remplace les fontaines et les robinets, le bivouac devient maison et refuge. Les nuits sont courtes, ponctuées par le vent et le froid. Chaque longueur de la voie est une négociation avec le rocher : certaines sections sont lisses, impitoyables, obligeant à faire demi-tour ou à chercher des contournements. La frustration se mêle à l’émerveillement devant le granite immaculé et les lignes naturelles qui s’y dessinent.
Pourtant, malgré la fatigue et les difficultés, chaque longueur équipée est une victoire. Les gestes s’affinent, le rythme se trouve. La Lunarda devient peu à peu un repère, un phare dans cette expédition où tout est à inventer. La voie prend forme, mais reste exigeante : plusieurs passages semblent flirtés avec le neuvième degré, et chaque progression est le fruit d’un engagement total, physique et mental.
« Nous avons équipé une grande voie à la frontière de ce que l’on considère possible en escalade. Tous les mouvements n’ont pas encore été réalisés, faute de temps d’abord et de force dans les bras ensuite. Mais nous sommes convaincus que l’itinéraire est grimpable en libre jusqu’au sommet avec sûrement 3 longueurs aux alentours du 9ème degré dans un style bien particulier sur ce granite sublime ». — Symon Welfringer

L’avancée de la voie et le symbole du Phoenix
Au fil des jours, la Lunarda prend forme, mais chaque longueur est une épreuve. Les demi-tours se multiplient, les murs lisses obligent à ruser, à accepter que tout ne se passe pas comme prévu. La voie est exigeante, technique, mais d’une beauté rare. Chaque geste sur le granite demande précision, concentration et force, et la fatigue s’accumule sans possibilité de repos véritable.
Parallèlement, une autre histoire se joue à distance. Leur ami Ugo, victime d’un grave accident, traverse sa propre épreuve. L’ouverture de chaque longueur devient un petit pas symbolique pour lui aussi : à chaque section terminée, un lien se tisse entre l’effort sur la paroi et son chemin vers la récupération. La Lunarda devient alors bien plus qu’une voie difficile : un phare dans la nuit, un repère d’espoir, une manière de dire que l’on peut renaître après l’épreuve.
Cette dimension rend l’aventure encore plus intense. La progression physique sur la paroi se double d’une progression humaine, émotionnelle. Chaque longueur équipée n’est pas seulement une victoire technique, mais un pas vers la résurrection — celle de la voie, mais aussi, symboliquement, celle d’un ami qui avance lentement vers la lumière.

Résurrection : une voie et un projet sur le long terme
Au terme de ces semaines intenses à Bavella, Résurrection n’est pas seulement une grande voie équipée : c’est un projet vivant, en constante évolution. La première phase est achevée, mais la ligne reste à découvrir dans son intégralité. Tous les mouvements ne sont pas encore réalisés, et certaines sections promettent encore de belles batailles pour celles et ceux qui viendront se confronter à cette paroi.
«“Résurrection” est un projet sur le long terme dont seule la première phase est achevée. Nous pensons qu’il sera un terrain de jeu idéal pour que d’incroyables grimpeurs.euses rêvent et continuent de nous faire rêver ». — Symon Welfringer
Le séjour a également permis d’explorer d’autres lignes mythiques, comme l’Archéron et Storia di Amicizia, confirmant la richesse du granite corse et les défis qu’il offre. Ces explorations renforcent la conviction que Résurrection est bien librement grimpable, avec probablement plusieurs longueurs autour du neuvième degré, dans un style exigeant mais magnifique.
Au-delà de la performance, cette aventure restera marquée par le temps long, la fatigue, l’effort partagé, et la dimension humaine qui s’y attache. Entre le voyage à vélo, la traversée de la Méditerranée, le bivouac sur les torrents et la progression pas à pas sur le granite, chaque instant a contribué à faire de Résurrection bien plus qu’une voie : un symbole d’engagement, de persévérance, et de rêve pour toutes celles et ceux qui viendront la grimper.

✍️: Théo de GrimpActu












