Militantisme en escalade : quand la grimpe rejoint les luttes
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Dernière mise à jour : il y a 3 jours
En plein cœur du Grésivaudan, Le Perchoir — lieu éco-responsable mêlant coworking, escalade et événementiel — vibre au rythme du OWL FEST.
Alors que les qualifications battent leur plein, deux voix résonnent dans le brouhaha des moulinettes et des cris d’encouragement : la grimpeuse de trad Soline Kentzel et le spécialiste de grande-voie Sébastien Berthe invitent le public à une table ronde… sur un terrain inattendu : le militantisme en escalade.
Qu’est-ce que le militantisme ?
Le militantisme renvoie à l’engagement actif pour une cause, souvent au sein d’un collectif. Selon différentes sources :
Académie française : activité d’une personne qui milite au sein d’un mouvement.
Larousse : attitude des militants actifs dans les organisations politiques et syndicales.
Wikipédia : engagement collectif pour protester contre une injustice.
Council of Europe : soutien actif à une cause, un idéal, une idéologie ou un parti politique.
En résumé : militer, c’est agir. Que ce soit seul·e ou en groupe, pour défendre une valeur ou répondre à une oppression. Mais au sein d’un même mouvement, tout le monde ne partage pas forcément les mêmes valeurs — et c’est là que les questions commencent.
Il y a un nombre infini de causes pour lesquelles nous pouvons militer. Nous ne pouvons pas militer pour toutes les causes, au risque de se perdre dans sa propre lutte et de se noyer soi-même. Il peut donc arriver que dans un même mouvement qui lutte en faveur d'une cause spécifique, certaines idées divergent à propos d'autres sujets.

Inclusion et divergence de valeurs
Faut-il exclure ceux qui ne partagent pas toutes nos valeurs ? Ou choisir d’inclure largement, tant qu’on se bat pour une même cause ciblée ?
Des exemples tendus circulent :
Faut-il inclure des fascistes dans l’écologie ?
Peut-on accepter des féministes transphobes ?
Il n’y a pas de réponse simple. Mais une chose est claire :
l’écofascisme n’est pas de l’écologie,
le féminisme ne peut pas porter des valeurs transphobes.
Chaque mouvement navigue entre cohérence, ouverture et limites éthiques.
Solidarité inter-luttes et intersectionnalité
Pour Soline et Sébastien, l’essentiel tient en deux mots : solidarité inter-luttes. Certaines personnes subissent plusieurs formes d’oppression : c’est l’intersectionnalité.
Une femme racisée et handicapée, par exemple, affronte des injustices multiples. Peut-on attendre d’elle qu’elle milite partout ? Et en aurait-elle seulement l’énergie ?
C’est ici que la solidarité intervient : les luttes se renforcent mutuellement, sans que chacun doive porter tout le poids.
Diversité des formes de militantisme
Le militantisme ne se limite pas à la rébellion ou aux manifestations. Il peut être violent ou non violent, artistique ou conventionnel, à grande ou petite échelle. Chaque personne peut trouver sa manière de militer, selon ses valeurs, ses compétences et son énergie. On peut agir pour soi ou pour les autres, par des manifestations pacifiques, la médiatisation engagée, des dons, des événements sportifs ou le soutien à une association ou entreprise engagée.
“On peut tous et toutes être et se considérer comme militant.es.”
L’idée centrale : toutes les formes d’action sont complémentaires et la convergence des luttes permet de progresser collectivement, même à travers des gestes qui paraissent modestes.
Mais comment ces réflexions sur le militantisme se traduisent-elles concrètement dans le monde de l’escalade ? C’est ce que Soline et Sébastien explorent ensuite.

Militantisme et escalade
La réflexion sur le militantisme prend tout son sens lorsqu’on la relie à l’escalade. Pour Soline Kentzel et Sébastien Berthe, il existe deux manières principales de penser le lien entre militantisme et grimpe : faire du militantisme au service de l’escalade, ou utiliser l’escalade pour servir une cause.
Le militantisme au service de l’escalade
Certaines pratiques sportives, et plus particulièrement l’escalade en falaise, dépendent directement de l’environnement naturel : la qualité des rochers, les conditions météorologiques, la préservation des sites. Pour Soline et Sébastien, militer pour l’escalade, c’est agir pour que la pratique reste possible et respectueuse de l’environnement.
Exemple concret : le Dawn Wall au Yosemite. Pour tenter l’une des grandes voies les plus longues et difficiles au monde, ils ont choisi de voyager en voilier depuis la France, plutôt que par avion. Ce choix imposait contraintes et temps supplémentaires, mais il incarnait un militantisme non-violent et concret, basé sur la réduction de l’empreinte écologique. L’objectif : montrer que performance et engagement éthique peuvent coexister, et inspirer d’autres grimpeur.ses à adopter une pratique consciente et responsable.
➡️ Si vous souhaitez en savoir plus sur cette aventure retrouvez l'article ici : Seb Berthe son retour victorieux sur le Dawn Wall
Cette démarche illustre aussi l’idée que le sport peut véhiculer des valeurs : respect, patience, solidarité et sensibilité à l’environnement. Chaque action, même modeste, devient un exemple et une source d’inspiration.
L’escalade au service du militantisme
À l’inverse, l’escalade peut être utilisée comme outil pour agir en faveur d’une cause. La maîtrise technique et physique permet d’atteindre des lieux inaccessibles et de réaliser des actions visibles et médiatisées.
Exemples concrets :
Les écureuils : pour protéger des arbres menacés par la construction de l’autoroute A69, des grimpeur.ses ont utilisé des techniques de cordes pour occuper les arbres et bloquer l’abattage. Une forme de désobéissance civile non-violente, où l’escalade devient un outil d’action écologique.
Affichage en hauteur : grimper sur des murs, bâtiments ou structures pour installer des banderoles ou des messages visibles, permettant de sensibiliser le public et les médias à une cause.
Médiatisation de causes internationales : certaines actions de grimpe servent à attirer l’attention sur des situations géopolitiques ou sociales, comme des compétitions controversées ou des projets environnementaux problématiques.
L’escalade devient alors un moyen concret d’agir, complémentaire à d’autres formes de militantisme comme les manifestations, les campagnes médiatiques ou le soutien à des associations.

Une action complémentaire et réfléchie
Que ce soit le militantisme au service de l’escalade ou l’escalade au service du militantisme, l’essentiel est que chaque action ait du sens, soit en accord avec ses valeurs et contribue à un objectif collectif. Soline et Sébastien insistent sur la complémentarité des actions, la solidarité entre luttes, et sur le fait que toutes les formes de militantisme, même modestes, sont utiles et légitimes.
Cette perspective permet de combiner technique, éthique et engagement, montrant que l’escalade n’est pas seulement un sport, mais aussi un vecteur de valeurs et d’actions concrètes pour le monde qui nous entoure.
Initiatives originales et mise en situation
Pour passer de la théorie à la pratique, Soline Kentzel et Sébastien Berthe ont proposé aux participant.es une activité immersive : réfléchir, en petits groupes, à des situations fictives mais parfaitement plausibles dans le milieu de l’escalade.
L’objectif : montrer que militer, c’est aussi analyser un contexte, choisir une stratégie, mesurer les risques et agir collectivement.
Quatre situations, quatre déclencheurs possibles de lutte
Les groupes se sont penchés sur l’une des situations suivantes :
Céüse en sueur Un projet de complexe hôtelier de luxe menace la mythique falaise de Céüse, au Col des Guérins.
Sportwashing d’extrême droite à Fontainebleau Le média identitaire Frontière organise un grand événement d’escalade, avec une table ronde intitulée :« Comment le féminisme fait souffrir les hommes et fait baisser leur niveau en escalade ? »
La gentrification par l’escalade À Aubervilliers, le groupe Arthrose ouvre sa 6ᵉ salle, à la place d’un bâtiment occupé depuis quinze ans par des mineur.es isolé.es, personnes sans-abris et familles immigrées.
ICG 1 – Israelian Climbing Games Une énorme compétition est organisée en Cisjordanie, territoire palestinien colonisé, avec un prize money spectaculaire et des athlètes occidentaux invités.
Chaque groupe devait imaginer deux réponses :
une action conventionnelle (médiatisation, action juridique, mobilisation institutionnelle…)
une action non conventionnelle (désobéissance civile, occupation, perturbation…).
Pour chacune, il fallait définir l’objectif, les méthodes, les risques, la communication et les allié.es. Un vrai travail de stratégie militante, appliqué au monde de la grimpe.

Exemple : défendre la falaise de Céüse
Prenons l’exemple du projet hôtelier menaçant Céüse. Deux actions ont émergé : l’une classique, l’autre beaucoup plus radicale.
1. L’action conventionnelle : la médiatisation
Les participant.es ont imaginé une série de petites vidéos pédagogiques montrant l’impact écologique et social de la construction. Elles mobiliseraient :
scientifiques
juristes
élu.es locaux
Objectifs :
sensibiliser
créer une couverture médiatique nationale
atteindre les journaux télévisés
valoriser la falaise comme patrimoine naturel et sportif
Une action accessible, structurée, qui mise sur l’information et la pression médiatique.
2. L’action non conventionnelle : une ZAD au pied de la falaise
En parallèle, les groupes ont proposé la création d’une ZAD sur la zone menacée.
Principes :
présence continue de 20 à 30 personnes, soutenues par un vaste réseau
occupation non violente des zones stratégiques
blocage du projet
transformation de la zone en lieu de vie solidaire et militant :
tables rondes
rencontres avec les riverains
événements festifs
distribution hebdomadaire de pizzas
ateliers, concerts, moments de partage
Objectif : empêcher le début du chantier tout en rassemblant la communauté autour d’un projet écologique et social commun.
Une manière concrète de penser l’action collective
À travers cet exercice, les participant.es ont expérimenté ce que signifie vraiment penser une action militante :
identifier les enjeux
adapter la stratégie
mesurer les risques
réfléchir à la communication
mobiliser ses compétences (dont l’escalade elle-même)
Cette mise en situation montrait que le militantisme n’est jamais figé : il s’invente, se réinvente, et permet à chacun de trouver une place dans la lutte.
Une conclusion pratique : militer, c’est déjà essayer
Cette activité a permis de rendre le militantisme tangible, de montrer que la créativité et la coopération suffisent pour bâtir des actions pertinentes. Soline et Sébastien voulaient avant tout transmettre un message simple :
Il n’existe pas une bonne manière de militer. Il existe des milliers de façons d’agir.
Certain.es le feront en désobéissance civile, d’autres en créant, en parlant, en partageant, en construisant. L’essentiel est d’agir avec sens, en accord avec ses valeurs, et de reconnaître la valeur de toutes les formes de lutte.















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