Chaussons d'escalade : Une pollution invisible qui menace votre santé
- GrimpActu
- il y a 5 heures
- 7 min de lecture
Même les médias généralistes s’en emparent : les chaussons d’escalade polluent l’air que l’on respire
C’est une étude qui fait parler bien au-delà du petit monde de la grimpe. Publiée en avril 2024, "L’empreinte invisible des chaussons d’escalade : forte exposition aux additifs du caoutchouc dans les salles d’escalade", signée par la chercheuse Anya Sherman (Université de Californie – Berkeley), secoue le milieu.
Ce que l’on croyait être un simple sport de contact entre peau, chaussons et résine, s’avère être un environnement saturé de particules chimiques, issues directement de l’usure des semelles. Pire : certaines substances identifiées dans l’air intérieur des salles sont les mêmes que celles retrouvées dans les eaux polluées par les pneus de voiture.
Dans un contexte où les préoccupations environnementales et sanitaires s’invitent partout , du bio dans nos assiettes aux perturbateurs endocriniens dans les cosmétiques, la question se pose désormais avec force dans l’univers de l’escalade indoor : à quel prix grimpons-nous ?

Des semelles ultra-techniques... et hautement chargées en additifs
Les chaussons d’escalade ne sont pas des chaussures ordinaires. Pensés comme de véritables outils de performance, ils allient précision extrême, adhérence maximale et durabilité renforcée. Pour atteindre cet équilibre, les fabricants incorporent une série d’additifs chimiques puissants, notamment des composés dérivés du caoutchouc, ou RDCs (Rubber-Derived Compounds). Parmi eux : le 6PPD, tristement célèbre pour son rôle dans la mort massive de poissons dans les rivières nord-américaines, mais aussi le BTZ, le DPG, ou encore le HMMM, tous issus du monde automobile.
Des additifs issus de l’industrie automobile
Initialement conçus pour renforcer les pneus face aux chocs thermiques ou à l’ozone, ces additifs ont migré dans les chaussons d’escalade… sans réelle régulation. Le problème ? À chaque appui sur une prise, à chaque frottement contre le mur, les semelles s’usent et libèrent des particules de caoutchouc. Invisibles à l’œil nu, ces microfragments s’accumulent sur les volumes et les micro-prises, jusqu’à former une poussière noire caractéristique : la foothold powder, principalement composée de caoutchouc usé.
Et cette poussière, elle ne reste pas tranquille au sol : elle est balayée, brossée, remise en suspension… et se retrouve dans l’air que nous respirons.
Un air intérieur chargé... et transformé
Les grimpeurs ne se contentent pas de manipuler des prises, ils respirent aussi l’air saturé de microparticules de caoutchouc. Des techniques avancées, comme l’imagerie électronique et les analyses chimiques, ont permis de prouver que ces particules de caoutchouc ne sont pas seulement omniprésentes dans les salles d'escalade, elles se transforment également en composés chimiques inquiétants une fois libérées dans l’air. L’ozone, un gaz présent dans l’air intérieur des salles d'escalade, joue un rôle crucial dans ces transformations. Ce gaz réactif attaque les particules de caoutchouc et les dégrade, produisant ainsi des composés encore plus toxiques.
Parmi ces produits secondaires se trouve le 6PPD-quinone, un dérivé de l’additif 6PPD, déjà tristement célèbre pour sa toxicité envers les poissons dans les rivières. Cette substance, pourtant bien camouflée dans les semelles de nos chaussons, peut donc s’avérer hautement toxique lorsqu’elle est inhalée ou ingérée. Les particules les plus fines, celles qui mesurent moins de 10 microns, ont une capacité particulière à rester en suspension dans l’air pendant de longues périodes. Ces particules peuvent être facilement inhalées par les grimpeurs et, pire encore, pénétrer profondément dans les poumons, où elles pourraient provoquer des effets respiratoires à long terme. Et ce n’est pas tout : les particules ingérées par voie orale, notamment lors de l’accumulation de poussière sur les mains ou les prises, passent directement dans le système digestif.
L’exposition à ces particules est donc un problème à double tranchant : respiratoire et digestive. Pour les grimpeurs réguliers, mais surtout pour les employés des salles d'escalade, l’exposition est constante et répétée, augmentant ainsi le risque d’absorber un cocktail chimique dont les effets à long terme restent encore largement inconnus.

Et ce n’est pas tout, la magnésie a elle aussi un rôle nocif à jouer...
Alors que les chaussons d’escalade sont au centre des préoccupations, il ne faut pas oublier que la magnésie en poudre, souvent utilisée par les grimpeurs pour améliorer l’adhérence, n’est pas sans dangers non plus. En effet, cette poudre fine, omniprésente dans les salles d’escalade, représente une autre source de pollution de l’air intérieur, contribuant à une exposition aux particules fines qui ne doit pas être négligée.
La magnésie utilisée dans ces environnements n’est pas toujours pure et peut contenir des traces de silice. Lorsque la proportion de silice dépasse les 1%, les risques de maladies pulmonaires, comme la silicose, augmentent de manière significative. Ces particules fines, en suspension dans l’air, sont facilement inhalées par les grimpeurs, et ce n’est pas sans conséquences. Une étude réalisée par l’Université technique de Darmstadt a démontré que l’air respiré dans les salles d’escalade, souvent saturé de particules fines, est comparable à celui des secteurs industriels pollués, où les travailleurs sont exposés à des niveaux de pollution bien plus élevés.
Ce phénomène devient d’autant plus préoccupant à mesure que la pratique de l'escalade en salle se développe. Les grimpeurs, mais aussi les employés des salles, inhalent régulièrement des particules de magnésie, contribuant à un risque de pathologies respiratoires sur le long terme. Et si la magnésie semble nécessaire pour garantir une bonne performance en escalade, elle doit également être considérée comme une menace pour la santé de ceux qui évoluent dans ces espaces.
En effet, avec la croissance rapide de la pratique, l'impact sur la santé des employés des salles pourrait bien devenir un sujet d'inquiétude majeur dans les années à venir. Il est donc urgent de réfléchir à des solutions pour améliorer la qualité de l’air et garantir un environnement plus sain.

Crise économique et sociale dans les salles privées : un cocktail explosif
Le secteur des salles d’escalade traverse actuellement une crise sociale et économique, un contexte qui ne fait qu’aggraver les inquiétudes liées aux risques sanitaires. Après les grèves récentes chez Climbing District et Climb Up, qui dénoncent des conditions de travail de plus en plus insoutenables, c'est une véritable alerte pour l'avenir des salles privées. Ces mobilisations, portées par des revendications sur la surcharge de travail, l’absence de compensation pour les heures supplémentaires et les plannings chaotiques, révèlent l’épuisement des employés qui subissent déjà l’impact de conditions de travail difficiles, exacerbées par l’exposition constante à des substances dangereuses comme la magnésie et les additifs chimiques présents dans les chaussons d’escalade.
Cette crise sociale s’inscrit dans un climat économique tendu, où les fermetures récentes de Vertical'Art Lyon, Pigalle et Chevaleret en témoignent. Malgré une hausse des tarifs d’entrée, les salles privées peinent à attirer une clientèle régulière. L’augmentation des charges, notamment l’énergie et les loyers, associée à une baisse de fréquentation générale dans le secteur des loisirs, affecte gravement la rentabilité. Dans un tel contexte, les salles doivent jongler avec des coûts toujours croissants, tout en offrant un environnement qui, par ses substances chimiques en suspension, pourrait poser un véritable risque à long terme pour la santé des employés et des pratiquants.
L’exposition à la magnésie, les particules chimiques provenant des chaussons et l'air souvent saturé dans les salles ne font qu’aggraver une situation déjà critique. Les employés, souvent exposés à ces substances au quotidien, sont particulièrement vulnérables. Face à cette double crise, économique et sanitaire, les acteurs du secteur devront repenser leur modèle pour garantir la sécurité et le bien-être des employés tout en assurant la pérennité des structures privées. L’équilibre entre rentabilité et sécurité des pratiquants semble plus que jamais fragile.

Quelques conseils pour grimper plus sainement
Alors, que faire pour continuer à grimper sans se mettre en danger ? Voici quelques pistes concrètes pour réduire l'exposition aux risques sanitaires :
Privilégier les salles bien ventilées : une bonne aération permet de réduire la concentration de particules fines en suspension. N'hésitez pas à poser la question au personnel.
Éviter les heures de forte affluence : l'air est souvent plus saturé en particules pendant ces périodes.
Opter pour de la magnésie liquide : elle émet moins de particules que la magnésie en poudre, ce qui limite la pollution de l'air.
Nettoyer régulièrement ses chaussons : cela aide à limiter l’accumulation de particules de caoutchouc sur les prises.
Changer de chaussons lorsqu'ils sont trop usés : l’usure des semelles augmente la libération de particules fines.
Se laver les mains et le visage après chaque séance : pour éviter d’ingérer des particules présentes sur les prises.
Pour les gestionnaires de salles :
Instaurer une rotation fréquente des prises et un nettoyage régulier : cela élimine la poussière de caoutchouc et la magnésie accumulée.
Améliorer les systèmes de filtration de l’air : utiliser des filtres HEPA pour capturer les particules fines.
Former le personnel et informer les clients : sur les bonnes pratiques pour minimiser les risques sanitaires.
Et après ? Vers une réglementation plus stricte ?
L’étude soulève une question cruciale : celle de la réglementation. Actuellement, les additifs chimiques présents dans l'air des salles d'escalade ne font l'objet d'aucune surveillance spécifique, alors qu'ils sont déjà rigoureusement contrôlés dans d'autres domaines, comme dans les sols et les eaux polluées. Avec les avancées de la recherche et la prise de conscience croissante des risques sanitaires, il semble inévitable que ces substances soient bientôt soumises à des normes de contrôle plus strictes.
Cela amène également à réfléchir sur les matériaux utilisés dans les équipements de sport, notamment les chaussons d’escalade. Au lieu de se contenter de produits qui privilégient la performance au détriment de la santé, il est urgent d'explorer des alternatives plus sûres et durables. Pourquoi ne pas repenser la composition des chaussons et autres équipements, pour garantir non seulement la performance des pratiquants, mais aussi leur bien-être à long terme ?
➡️L'étude, pour l'instant publiée dans une petite revue scientifique, doit être en partie relativisée en attendant d'autres travaux plus complets dans des revues à plus fort impact.

Sources :
The Invisible Footprint of Climbing Shoes: High Exposure to Rubber Additives in Indoor Facilities : https://pubs.acs.org/doi/10.1021/acsestair.5c00017
La magnésie en poudre dans les salles d'escalade, pas si inoffensif que ça! : https://www.echosciences-grenoble.fr/articles/la-magnesie-en-poudre-dans-les-salles-d-escalade-pas-si-inoffensif-que-ca
Comments