Hamish McArthur : Rencontre avec le prodige du bloc et son 9A enchaîné à la séance
- GrimpActu
- 26 juin
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 août
C’est lors d’un passage à Paris que nous avons eu l’opportunité d’échanger avec Hamish McArthur. Ce qui devait être une simple rencontre est vite devenu une conversation marquante, rare, sincère, et à la hauteur de ce que le grimpeur britannique est en train d’accomplir. À seulement 23 ans, Hamish a déjà marqué l’histoire du bloc en réalisant No One Mourns The Wicked, son tout premier 9A… à la séance. Un exploit exceptionnel, survenu quelques jours seulement après avoir enchaîné Megatron, un autre 9A mythique. Mais au-delà de la performance brute, ce qui frappe, c’est ce que dégage Hamish lorsqu’il en parle : une vision singulière, lucide, presque philosophique de l’escalade, du dépassement, et de soi.
Dans cette interview, il revient sans filtre sur ces réalisations marquantes, partage ses doutes, ses intuitions, son approche mentale du mouvement, et sa manière de naviguer entre exigence sportive et exploration intérieure. Il évoque aussi l’évolution du haut niveau, les limites de la cotation, et l’avenir du bloc extrême.
Un échange fort, inspirant, et étonnamment intime à l’image d’un grimpeur pour qui la véritable ascension commence toujours en soi.

Présentation et parcours d’un prodige du bloc
Pour commencer, pourrais-tu te présenter pour celles et ceux qui ne te connaissent pas ? Peux-tu nous raconter ton parcours en escalade et ce qui continue à nourrir ta passion pour ce sport ?
Je m’appelle Hamish McArthur, je suis un être humain né au Royaume-Uni, et j’ai fait 23 fois le tour du soleil. Nous les avons tous faits, ces tours, donc si vous lisez ceci, c’est sans doute pour en savoir plus sur les blocs difficiles que j’ai grimpés. J’ai été grimpeur aussi longtemps que je m’en souvienne, un titre qui a été officialisé à mon 5ᵉ anniversaire, quand mes parents m’ont emmené pour la première fois dans une salle pour que je puisse “canaliser mon énergie”. Cette graine a, d’une façon ou d’une autre, débouché sur une carrière et une forme d’art, bien que souvent en roulant à une vitesse que j’ai du mal à suivre. En grandissant, cette passion est devenue moins frénétique, et aujourd’hui, ma motivation ressemble davantage à une quête d’exploration qu’à une fuite motivée par la peur.
Performance exceptionnelle : Hamish McArthur et ses 9A
Tu as récemment enchaîné ton tout premier 9A bloc avec “Megatron”. Comment as-tu vécu cette réussite et que représente-t-elle dans ta carrière ?
Une leçon très importante que j’ai apprise, c’est qu’il y a des choses qu’on ne comprendra jamais vraiment. Notre propre potentiel en fait partie. Mon envie de tout analyser, de comprendre “qui je suis”, c’est quelque chose que j’ai dû lâcher avant de pouvoir grimper Megatron parce que dans ma perception de moi-même, je ne suis tout simplement pas ce gars-là. C’est ça que cette réussite représente avant tout : une remise en question des récits mentaux qui ne me servent plus.
Découvrez la vidéo de Hamish dans son premier 9A :
Quelques jours plus tard, tu as réalisé un exploit encore plus impressionnant avec “No One Mourns The Wicked” un 9A bloc enchaîné en une seule séance. Avant d’essayer, pensais-tu que c’était possible ? Ou ça a été une surprise ?
Je pensais clairement que c’était possible d’enchaîner NOMTW en une séance. Je pensais aussi que c’était possible pour Megatron (ou tout autre 9A). Je me rends souvent compte que je joue un rôle, celui de l’effort long et laborieux, alors que ce n’est pas toujours nécessaire. Je fais ça tout le temps pas seulement en escalade. Je n’ai pas vraiment été surpris de le faire si rapidement, non pas parce que je m’attendais à ça, mais plutôt parce que j’avais réussi à ignorer totalement les attentes.
Peux-tu nous raconter cette journée exceptionnelle de l’approche jusqu’au moment où tu atteins le sommet ?Que se passait-il dans ta tête à cet instant ?C’est un événement étrange à revivre. J’ai décidé d’aller l’essayer à la dernière minute, alors on a pris le van la veille au soir et retrouvé Noah (Wheeler) au début du sentier le lendemain matin. L’approche est longue, à travers un paysage sec et ouvert ; après environ une heure de marche, on se retrouve comme par magie dans un tunnel de verdure, à l’abri sous la face de Defying Gravity. En touchant les prises, j’ai vite compris que ce n’était pas juste un bloc de force basique comme je l’imaginais. Oui, la séquence est simple, mais les positions du corps pour la réaliser sont extrêmement subtiles.
Mon essai flash sur Defying Gravity (la version debout, V15) était prometteur, mais pas suffisant. Les essais suivants m’ont permis d’explorer différentes positions de pied avant de revenir à une méthode avec un talon haut à droite. J’ai compris comment placer mes doigts et mon poignet sur la petite réglette main gauche, et comment engager mes ischios pour garder la tension. J’ai calé les mouvements du haut (en optant pour un match difficile sur une minuscule réglette main droite pour rendre le dernier jeté plus sûr).Peu après, j’ai tenu le fameux premier mouvement et suis allé jusqu’en haut. J’étais déjà euphorique d’avoir enchaîné mon deuxième V15 quand Quinn m’a rejoint de l’autre côté du bloc avec mes chaussons et un grand sourire. Même s’il n’y avait personne d’autre, j’ai chuchoté ironiquement : “Je pense que je peux faire le départ assis aujourd’hui.” J’ai mangé rapidement pendant que Noah m’expliquait les mouvements du bas. On a bossé la séquence qui mène au départ de Defying Gravity – une prise main droite en pincée fuyante avec des pieds très instables. Je n’arrivais pas à m’empêcher de tourner, encore moins à prendre la main gauche avec assez de précision pour tenter le jeté. J’ai décidé de faire des essais depuis le sol ; j’ai souvent remarqué que l’état d’esprit d’un “run d’enchaînement” apporte une intention et une précision difficiles à reproduire autrement. Et c’est exactement ce qui s’est passé. J’ai grimpé avec fluidité, en économisant mes forces, jusqu’au jeté. Je l’ai tenté, mais l’intention réelle avait été remplacée par d’autres pensées, je me suis retrouvé en l’air sans l’avoir décidé consciemment, puis au sol. Je me suis reposé, et quand le moment est venu, je suis retourné sur la prise de départ. J’ai misé sur la confiance, sachant que grimper comme si j’avais déjà fait des dizaines d’essais était ma seule chance pour compenser ce manque. Cette fois, mon esprit est resté focalisé au moment du jeté. Ma vision est devenue un outil, pas une distraction ; toute mon attention était concentrée sur les sensations du bout de mes doigts et l’extension équilibrée de mes jambes. J’ai tenu le swing et senti aussitôt un poids mental me tomber dessus. Mes mains étaient totalement engourdies par l’adrénaline. J’avais l’impression de couler dans l’eau. Je me suis lancé dans le dernier mouvement difficile, et, par miracle, j’ai tenu le swing avec des mains que je ne sentais plus. La sortie était lente, tremblante (guidée par Noah depuis le sol), mais j’ai fini debout, sur la terre ferme, avec la tête dans les nuages.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore ce bloc, peux-tu décrire “No One Mourns The Wicked” ?
“No One Mourns The Wicked” est le départ assis de l’emblématique V15 – Defying Gravity. La ligne est évidente, elle suit une série parfaite de réglettes petites et fuyantes sur une face raide et lisse. C’est un bloc très minimaliste, qui demande une subtilité difficile à saisir même en vidéo.
Retrouvez l'enchainement de Hamish en vidéo juste ici :
L’approche mentale et physique de Hamish McArthur
Ton approche semble très intuitive presque méditative. Quelle est l’importance de l’état d’esprit, de la concentration et de la force mentale pour réussir un bloc de ce niveau ?
Pour moi, l’escalade est devenue un outil pour développer mon état d’esprit, ma concentration et ma force mentale, plutôt que l’inverse. C’est une relation symbiotique. Si tu veux repousser les limites, par définition, tu vas devoir casser les codes. Dépasser ma propre perception de “la limite” est un processus incroyablement personnel et intime. Je peux parler de mon chemin, mais je ne me sens pas légitime pour généraliser sur ce sujet.
Il y a presque une dimension spirituelle dans ta manière d’aborder l’escalade. Comment décrirais-tu ta philosophie personnelle de l’escalade aujourd’hui ?
À travers l’escalade, je veux m’inspirer et inspirer les autres à comprendre que les limites (du moins dans la plupart des cas) sont des constructions. Et que si quelque chose dans ta vie ressemble à un poids de béton ou un mur infranchissable, il existe des chemins pour traverser ça. Des chemins qu’on ne comprend pas avant que tout devienne simple.

L’évolution du bloc extrême et perspectives d’avenir
À ton avis, comment évolue le haut niveau en bloc ? Est-ce que ces nouveaux blocs extrêmes redéfinissent ce que signifie être un grimpeur d’élite aujourd’hui ?Je suis convaincu que si la moitié du circuit de Coupe du monde décidait de se consacrer au 9A pendant le reste de l’année, on aurait 50 nouveaux ascensionnistes. Le niveau ici ne se joue pas uniquement sur le physique, mais sur la capacité d’exécution à un instant donné, une exigence qu’on n’a encore jamais vraiment vue auparavant.
Que penses-tu de l’évolution des cotations en bloc ?Le 9A te semble-t-il un repère stable, ou est-ce qu’on est déjà à la veille du 9A+, 9B, ?
D’abord, il faut se rappeler que les cotations sont une hallucination collective, comme l’argent, qui tient peu la route quand on l’examine de près. Cela dit, si on entre dans ce jeu, je serais très surpris que les lettres et les chiffres n’augmentent pas encore. J’adorerais essayer un bloc bien au-delà de tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant.
Quels sont tes prochains projets ? Y a-t-il une ligne, un trip ou une voie qui occupe déjà ton esprit pour les mois à venir ?
Je commence à planifier un voyage en Finlande. Il est temps que j’aille rendre visite à Burden Of Dreams, et si ça passe… il y a un projet évident à quelques kilomètres de là...

✍️ Théo de GrimpActu
💬 Hamish McArthur
📷 Quinn Mason
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